Commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, le général de division Arnaud de Cacqueray rappelle que l’engagement naît de la générosité.
Comment définissez-vous l’engagement dans votre profession ?
Je le vois à deux niveaux. Collectif d’abord : nous sommes un service public, au sens politique du terme, « polis », c’est la cité. Et dans cette cité, le pompier a un rôle particulier : protéger les personnes et protéger les biens. C’est un idéal qui a quelque chose de désintéressé et en même temps de très physique. Et puis il y a le niveau individuel, où l’on retrouve une aspiration du cœur : la générosité, l’acte gratuit, la capacité à se mettre au service des autres. C’est ce qui est parfois appelé l’empathie : ressentir ce que vit l’autre. Nos jeunes recrues arrivent avec ces deux moteurs. Le premier, c’est l’idée du service, qui est vraiment le cœur de leur motivation. Le second, c’est la recherche d’un encadrement militaire. Ils y tiennent énormément.
Qu’apporte cet encadrement, selon vous ?
Il apporte discipline, rigueur et esprit de communauté. Mais il véhicule aussi des valeurs : dévouement, sacrifice, honneur, patrie. Ce sont de grands mots, parfois on sourit en les entendant, mais les pompiers les portent vraiment. Et je trouve magnifique de voir qu’en 2025, il y a encore des jeunes qui rêvent de servir leur pays.
Quels leviers permettent de faire vivre et durer cet engagement ?
On parle d’engagement au moment où le jeune nous rejoint. Ensuite, on parle plutôt de fidélisation. Fidéliser, c’est lutter contre ce qui use, et mettre en valeur ce qui est beau dans le métier. Parce qu’au quotidien, on croise la misère, la souffrance, parfois la violence. Si on reste figé, on s’use. C’est pour ça que je parle de dynamique. Il y a d’abord la dynamique individuelle : progresser, prendre des responsabilités, changer de poste. Un jeune qui devient chef d’ambulance retrouve de l’élan. Ensuite, il y a la dynamique collective. Les traditions, par exemple. Pas comme un poids, mais comme quelque chose de vivant. Prenez la remise de galons des jeunes sous-officiers : autrefois, une note, un galon posé. Aujourd’hui, une cérémonie, de la musique, un parrainage, les familles présentes. Cela donne du sens. Enfin, il y a la dynamique de l’environnement : les centres de secours. Si l’infrastructure bouge, si elle s’améliore, le pompier sent que son cadre de vie évolue, que son métier progresse. L’engagement dure s’il y a du mouvement.
Dans un contexte où l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est une attente forte, comment vos pompiers appréhendent-ils cette réalité ?
L’équilibre existe chez nous aussi. Mais le statut militaire, c’est la disponibilité. Quand surviennent des événements exceptionnels, comme les attentats du Bataclan, l’intérêt commun passe avant tout. Les familles le savent : elles vivent en caserne, elles partagent cette vie collective. Il y a une vraie convivialité, une vie communautaire. C’est aussi ça qui rend possible cette disponibilité quand les circonstances l’exigent.
Le risque d’usure est réel dans votre métier. Comment le prévenir ?
L’usure, c’est celui qui stagne. Celui qui fait toujours la même chose, toujours les mêmes interventions. À force, il finit par perdre le sens de son engagement. C’est dangereux. À l’inverse, celui qui progresse, qui brigue un autre poste, qui se relance, lui reste dans une dynamique. Donc, notre responsabilité, c’est de proposer des parcours clairs, différenciés, qui permettent de marquer des étapes.
Comment, en tant que chef, maintenez-vous un lien direct avec vos hommes et vos femmes ?
Par la présence, c’est le rôle du chef. Si vous n’êtes pas là, vous ne donnez pas de sens. Moi, je visite les casernes, je vais dans les ateliers, je partage les repas. Pour moi, le repas n’arrête pas le travail : petit-déjeuner, déjeuner, dîner, c’est du travail. J’ai instauré un petit-déjeuner tous les vendredis matin : n’importe qui peut venir partager ce moment avec moi et me parler librement. Ça peut être une jeune recrue, un sous-officier, quelqu’un qui veut juste dire qu’il est heureux, ou quelqu’un qui a un problème. C’est ça, être présent. Le commandement, ce n’est pas un privilège. C’est un acte de générosité, c’est un don.