David ABIKER, Journaliste et chroniqueur RADIO CLASSIQUE : « JE PRÉFÈRE L’INVESTISSEMENT À L’ENGAGEMENT »

Ancien DRH, désormais animateur de la matinale de Radio Classique, David Abiker démonte avec malice les fictions managériales.

Le discours sur les valeurs de l’entreprise joue-t-il un rôle dans la motivation des salariés ?

Il peut. J’imagine que certains candidats y font attention ou posent la question en entretien sur les fameuses valeurs, la mission, etc. Certains espèrent un double engagement, le leur et celui de l’entreprise. Mais gare au double discours : si l’entreprise déçoit le salarié, je doute que le citoyen « engagé » y trouve son compte. Plus l’engagement devient un sujet de communication éloigné du quotidien du salarié, plus je suis sceptique.

Alors, qu’est-ce qui motive réellement un salarié ?

Trois choses : l’intérêt du travail, la qualité du manager et la rémunération – pas forcément dans cet ordre, mais ce sont les piliers. Ensuite viennent l’environnement de travail, la localisation, les collègues. Le bureau, lui, peut faire basculer une décision. Un exemple : si vous proposez à quelqu’un de travailler à 30 minutes de chez lui à vélo, avec un parking à vélos, une douche, voire un vélo financé, ça l’intéressera, mais si c’est son critère de choix, à la place du recruteur, je ne le prendrai pas… Une politique vélo ne compensera pas un mauvais manager et ne fera pas l’intérêt du job. On est là pour bosser, pas pour pédaler… Le manager, c’est le point de contact avec la réalité et le métier. C’est symptomatique d’ailleurs, plus personne ne parle de métier comme si certaines notions s’étaient évaporées. Un métier c’est aussi concret que quatre murs.

Alors, quel est le rôle du bureau ?

Il y a 35 ans, j’ai fait un stage chez un monsieur formidable. Il avait un bureau magnifique, ça m’impressionnait. Les anciens présidents de la République ont des bureaux comme ça, avec des photos et des trophées, ça doit les rassurer. Mais le meilleur bureau, il est dans la tête. Ceci dit, un bureau collectif doit être un repère, et un repaire. Il structure l’espace, il permet les interactions, il inscrit le travail dans un cadre. C’est parfois un lieu de mixité sociale et d’altérité spontanée. On y retrouve des gens qu’on n’aurait jamais croisés ailleurs. Mais ce qui donne envie de venir au bureau, c’est le contenu du travail, la reconnaissance, l’autonomie. Et puis certains détails comptent. Une machine à café défaillante, une cantine bof, un photocopieur toujours en panne, une informatique pourrie, ça rend dingue. Mais là encore, à mes yeux, ce qui compte c’est la qualité du travail et le rôle du chef qui vous aide à le faire.

Le télétravail a-t-il bouleversé ces équilibres ?

Il a déstabilisé des repères essentiels. Travailler, ce n’est pas seulement produire des livrables, c’est appartenir à un collectif. En télétravail prolongé, on perd le sens, la visibilité, l’estime de soi. Et les managers n’arrivent pas à recréer du lien à distance. Résultat : des accords collectifs mal calibrés, signés trop vite, difficiles à modifier. Je pense qu’il faut un peu de courage managérial. Dire simplement : « Pour bien faire notre métier, on a besoin d’être ensemble. » Le télétravail, ça ne marche pas pour tout le monde. Peut-être que ce qui compte, c’est d’avoir le choix. Pour bien bosser, j’ai personnellement besoin d’être au bon endroit au bon moment. Parfois chez moi, parfois à mon bureau et bien sûr en studio, puisque je fais de la radio.

On parle de plus en plus de « l’investissement personnel » plutôt que de « l’engagement ». Est-ce une distinction pertinente ?

Oui. Le mot « investissement » me plaît bien. Il suppose un pari, une prise de risque, un espoir de retour. Il y a une dimension matérielle, affective et intellectuelle. Quand un salarié voit que l’entreprise investit dans de bons outils, de beaux locaux et surtout des projets, il peut se projeter et imaginer son avenir.
Et quand on lui confie un travail intéressant, qu’on prend le temps de le former, qu’on le traite comme un adulte, il s’investit. On s’investit avec des gens investis qui investissent. Oui, je préfère largement ce mot-là.