Présidente de l’ANDRH et DRH chez Canal+, Audrey Richard observe une transformation profonde des attentes au travail.
À quoi reconnaît-on l’implication d’un salarié aujourd’hui ?
C’est une question d’envie. Envie de contribuer, de se dépasser, de faire partie d’un collectif. Ce qu’on appelle souvent « engagement », pour moi, commence par une envie, qu’on doit comprendre et nourrir. Le constat est clair : le premier facteur d’attractivité ou de fidélisation, ce n’est pas le sens, ni la diversité, ni l’écologie. C’est le package : le salaire, les primes, les avantages, des fondamentaux à ne jamais négliger. Une fois que l’on a sécurisé ça, d’autres briques viennent nourrir la dynamique : la mission de l’entreprise, ses engagements, sa manière de traiter l’humain. Mais il ne faut pas inverser les priorités. Aujourd’hui, pour qu’un collaborateur ait envie de rester et de donner le meilleur de lui-même, il faut d’abord que les conditions matérielles soient réunies.
Cette envie est-elle plus individuelle ou collective ?
Elle est forcément les deux : il n’y a pas d’un côté l’individu, de l’autre le collectif. Le lien est permanent. Et ce lien a évolué. Avant la COVID, les politiques RH étaient très orientées vers le collectif. Pendant la crise, on s’est tournés vers l’individu. On a commencé à s’occuper de tout : de l’alimentation, du sommeil, du sport, de la santé mentale, des violences conjugales. Et ce n’est pas un détour : c’est une réalité nouvelle. Le curseur est là maintenant, et on ne reviendra pas en arrière. Ce n’est plus possible aujourd’hui de dire « on pense collectif » sans prendre en compte l’individu dans toutes ses dimensions.
Quels leviers mettez-vous en œuvre dans vos fonctions pour nourrir cette dynamique ?
On a tous misé un temps sur les perks, les à-côtés du travail. Mais aujourd’hui, je suis convaincue que l’efficacité passe par le dialogue social. Travailler avec les partenaires sociaux, c’est accéder à des remontées que les RH n’ont pas toujours. Et cela permet de signer des accords concrets : sur la qualité de vie au travail, les carrières seniors, le handicap, la transformation des métiers. Ces accords sont puissants parce qu’ils sont partagés, adaptés au terrain, et construits avec ceux qui vivent le travail au quotidien.
Avez-vous vécu personnellement des situations qui vous ont marquée dans votre rapport au travail ?
Oui, j’ai déjà vécu un désalignement complet avec une entreprise. Face à des pratiques non éthiques, j’ai choisi de partir. En tant que DRH, rester, c’est cautionner. À l’inverse, ce qui renforce ma motivation, c’est l’exemplarité. Des dirigeants éthiques, humains, qui ont le sens du business et des valeurs : cela engage tout le monde, naturellement. Et c’est aussi ce que les salariés attendent aujourd’hui.
Si vous deviez donner les ingrédients d’une politique RH efficace aujourd’hui, quels seraient-ils ?
Il n’y a pas de recette universelle, mais il y a une méthode : co-construire. RH, managers, salariés, partenaires sociaux – tout le monde a un rôle. Les attentes ne sont plus descendantes, elles sont croisées. Le manager n’est plus au-dessus, il est à côté. Et plus on avance ensemble, plus on construit des politiques adaptées. C’est plus exigeant, mais c’est ce qui fonctionne aujourd’hui. Offrir des lieux où les équipes peuvent se retrouver, partager, apprendre ensemble, ça a de la valeur. Les jeunes, notamment, veulent être dans les murs pour capter la culture d’entreprise. Et cette culture ne se transmet pas par Teams. L’informel est aussi important que le reste.