Vincent ESCHALIER, Architecte Studio Vincent Eschalier : « créer des lieux qui donnent envie de rester, plutôt que des bureaux pour recruter »

À la tête du Studio éponyme qu’il a fondé, Vincent Eschalier défend une pratique ancrée dans l’écoute, la confiance et l’intuition.

En tant qu’architecte, comment abordez-vous la notion d’engagement ?

L’engagement, c’est un mot un peu valise. Dans nos métiers créatifs, ce n’est pas un sujet nouveau ni problématique. Les collaborateurs arrivent très engagés : il faut une vraie passion pour traverser les études d’architecture, qui sont longues, exigeantes, souvent rudes. Chez nous, cette énergie est déjà là à l’entrée, et perdure. Par le travail que l’on fait ensemble, mais aussi des activités, comme les sessions de sport que l’on organise, des voyages ou des sorties culturelles.

Comment faire durer cet engagement au quotidien, au-delà de la passion initiale ?

À l’origine, il y a ma volonté assez simple de faire de beaux projets avec des gens bien. C’est ce principe qui a attiré des collaborateurs, des clients, des partenaires. J’essaie de créer une structure alignée avec mes valeurs : bienveillance, confiance, respect du rythme de chacun. C’est venu naturellement. Dans notre métier d’architecte, on nous demande souvent de concevoir des lieux pour attirer des talents. Curieusement, on parle rarement de les faire rester ou de les rendre heureux. Or, c’est ça qui m’importe le plus : créer des lieux qui donnent envie de rester plutôt que des bureaux pour recruter.

Concrètement, comment cela se traduit-il dans la vie de l’agence ?

On essaie de cultiver la confiance. Si quelqu’un arrive à 11h, on considère qu’il y a une bonne raison, et on ne va pas aller vérifier. Tout repose sur une forme d’équilibre et d’attention mutuelle. Et puis il y a des petits gestes forts : on met à disposition un appartement juste à côté des bureaux, que les collaborateurs peuvent utiliser en cas de besoin ou pour accueillir leur famille de passage à Paris. Nous avons également mis en place une formation aux soft skills – en complément des formations habituelles – pendant plusieurs mois : savoir écouter, s’exprimer, prendre la parole… Personne ne vous enseigne cela en école d’architecture.

Vous évoquez une absence de hiérarchie. Comment cela fonctionne-t-il dans une organisation d’une cinquantaine de personnes ?

Il y a une structure, mais chacun peut s’exprimer, même les nouveaux arrivants. Je pense que si une équipe tient, ce n’est pas parce qu’on évite les conflits, mais parce qu’on les traite avec respect. La clé, c’est la confiance. Je vois encore des gens dans d’autres entreprises poser un jour de congé pour aller chez le mé- decin. Ici, ce n’est pas un sujet : tu arrives plus tôt, tu t’absentes une heure l’après-midi, et tu reviens. C’est une liberté de bon sens. Pareil pour les ponts : beaucoup de collaborateurs n’ont pas d’enfants, alors ils préfèrent poser un jour en décalé plutôt que de partir en même temps que tout le monde, quand tout est plein et plus cher.

Comment le lieu de travail participe-t-il à cet engagement ?

Nos bureaux sont un reflet de ce qu’on est : il n’y a pas de branding pensé, mais tout a une histoire. Une œuvre ici offerte par un ancien collègue, une étagère chinée, la photo d’un ami… C’est un environnement vivant, authentique. Et je pense que les collaborateurs le ressentent. Ils viennent au bureau parce qu’ils s’y sentent bien. Le télétravail existe chez nous, mais uniquement dans des cas exceptionnels. Notre métier repose trop sur l’échange, le collectif, les allers-retours spontanés.

Faut-il forcément beaucoup de moyens pour créer un lieu engageant ?

Pas du tout. Nos premiers bureaux étaient à Bagnolet, dans un quartier loin d’être prestigieux. Mais on y avait installé une cuisine, et chacun préparait à tour de rôle le déjeuner pour les autres. L’ambiance était forte, humaine, même sans budget dédié. Aujourd’hui, on a un chef et on déjeune tous ensemble : c’est sain, chaleureux, et ça facilite l’intégration des nouveaux. Mais comme à l’époque, rien n’a été calculé : on a toujours privilégié l’âme à l’esbroufe.